Allemagne : Des élections d'une importance capitale dans un contexte explosif
- ylanslimane
- 8 févr.
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Alors que l'Europe fait face au retour d'un Donald Trump survolté à la Maison-Blanche, sa plus grande économie se retrouve dans la tourmente dans un contexte d'élections à haut risque. Entre alliances improbables, ingérences russes et américaines et manifestations de masse, ce scrutin pourrait bien impacter l'UE tout entière. Retour sur une campagne hautement inflammable.

La chute de la coalition au pouvoir en cause des élections
Fait rare en Allemagne, ces élections législatives sont anticipées de quelques mois. Initialement prévue en fin d'année, elles se tiendront ce 23 février suite à l'implosion de la coalition dite en feu tricolore, réunissant les sociaux-démocrates, les Verts et les libéraux, dirigée par Olaf Scholz. C'est le limogeage du ministre fédéral des Finances, le libéral Christian Lindner, suite à des désaccords sur le budget 2025, qui a conduit le FDP à quitter le gouvernement et à provoquer la mise en minorité du chancelier. Il a logiquement perdu la confiance des députés, conduisant le président fédéral Frank-Walter Steinmeier à dissoudre le Bundestag, le Parlement allemand.
Ces élections mettent fin à un gouvernement impopulaire qui a enchaîné les querelles intestines dans un pays pourtant habitué au compromis politique. La guerre en Ukraine et la crise de l'énergie qui en a découlé n'ont rien arrangé, dans un pays très dépendant au gaz russe. L'invalidation d'un fond de 60 milliards d'euros par la justice en 2023, la crise des agriculteurs l'année passée et les résultats économiques en berne sont venus enfoncer le clou dans le cercueil du cabinet Scholz. Pourtant, le chancelier social-démocrate a fait ce qu'il a pu, avec des résultats en matière de politique énergétique, militaire et sociale jugés satisfaisants, d'autant plus en période de crise. Mais rien n'y a fait, et il n'a cessé de s'enfoncer dans l'impopularité, en emportant son gouvernement dans sa chute.
À gauche, on prend (presque) les mêmes et on recommence
Le revoilà parti pour un tour de piste. Le chancelier allemand Olaf Scholz, et chef du SPD, le parti social-démocrate, va remettre son mandat en jeu devant les électeurs de son pays. Ce n'est toutefois pas gagné, les sociaux-démocrates ayant longtemps songé à le remplacer dû à son impopularité chronique. Rappelons qu'il avait été placé en tête l'an passé d'un classement des chefs d'États les moins aimés au monde, juste devant Emmanuel Macron. Il a donc pendant un temps été concurrencé par le ministre fédéral des Armées, Boris Pistorius, qui caracole en tête des figures politiques les plus appréciées outre-Rhin. Mais après le retrait de Pistorius, Scholz s'est rapidement imposé comme candidat à sa réélection, étant convaincu de pouvoir réussir ce tour de force, même si sa formation politique est créditée de deux fois moins de suffrages (environ 15%) que les chrétiens-démocrates. Il se défend en rappelant qu'en 2021, il était également donné perdant quelques semaines avant le scrutin. Il s'était pourtant imposé avec 25% des suffrages, juste devant les conservateurs. Toutefois, la tâche s'avère bien plus ardue cette fois-ci, et la marche pourrait bien être trop haute pour le vieux routier de la politique allemande.
"Je sais faire campagne. Certains vont être surpris."

Du côté des Verts, on joue aussi la carte de l'optimisme, même si ces 3 années au pouvoir ont laissé des traces. Ils ont notamment souffert de la mauvaise image qu'a laissé leur projet de généraliser les pompes à chaleur dans les foyers. Leur leader et ministre fédéral de l'Économie et du climat Robert Habeck a été attaqué personnellement sur cette mesure, en plus d'avoir agi comme une figure d'épouvantail lors de la crise des agriculteurs. Mais c'est pourtant bien lui qui mènera la bataille pour les Verts à la fin du mois.
C'est vers la gauche radicale qu'il faut se tourner si on veut apercevoir du changement. Issu d'une scission avec le parti Die Linke, le BSW, en français Alliance Sahra Wagenknecht, centré autour de cette dernière, est venu bouleverser le paysage politique allemand l'année passée. Conservateur, le BSW assume de chasser sur les terres de l'extrême droite, en se réappropriant certains de ses discours, notamment sur l'opposition à l'immigration. Il a déjà enregistré plusieurs succès électoraux lors d'élections régionales en Saxe, en Thuringe et en Brandebourg, en intégrant même les gouvernements régionaux dans ses deux derniers Länder. Toutefois, la dynamique autour du BSW semble s'essouffler dans les sondages, qui le place au coude-à-coude avec Die Linke (environ 5%).

À droite, un jeu dangereux non sans conséquences
Il attendait ces élections depuis longtemps. Pourtant, Friedrich Merz, patron de la CDU, principal parti de centre droit en Allemagne, a commis une faute politique impardonnable à trois semaines du scrutin. En requérant les voix de l'extrême droite pour faire passer une motion non contraignante sur l'immigration, il a fait tomber un principe en place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale en Allemagne, connu sous le nom de "cordon sanitaire". Ce principe veut qu'un grand parti allemand ne doit sous aucun prétexte s'appuyer sur les voix de l'extrême droite pour faire passer ses textes. Toutefois, Merz a récidivé quelques jours plus tard, cette fois en n'obtenant pas la majorité en raison de défections dans son propre camp. Il a été rappelé à l'ordre par l'ancienne chancelière Angela Merkel, pourtant issue de la CDU, qui est sortie de sa retraite pour dénoncer cet accord :
"Abandonner cet engagement et permettre une majorité avec les voix de l’AfD au Bundestag est une erreur."
Mais que diable Friedrich Merz a-t-il été faire dans cette galère ? D'autant plus que son parti bénéficie d'une confortable avance d'environ 10 points sur ses opposants dans les sondages, avec environ 30% d'intention de votes. En tout cas, ce rapprochement de circonstance a suscité l'émoi dans un pays où le souvenir des horreurs nazies est encore très fort dans la population. Le week-end dernier, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues rien qu'à Berlin et ont convergé vers le QG de la CDU pour dénoncer cet accord, même si Merz a dit et répété qu'il ne formerait jamais un gouvernement avec l'AfD (Alternative für Deutschland) :
"C'est notre principal adversaire dans cette campagne."
Toutefois, la comparaison avec la situation en Autriche fait craindre aux manifestants un retournement de veste de Merz et de son parti. En septembre dernier, les conservateurs, arrivés en deuxième position derrière l'extrême droite, s'étaient engagés à former un gouvernement avec les sociaux-démocrates et les libéraux pour empêcher l'arrivée au pouvoir d'un des partis les plus radicaux d'Europe. Pourtant, en janvier, ces mêmes conservateurs ont fait volte-face et annoncé entrer en négociation avec l'extrême droite pour former un gouvernement dans lequel celle-ci serait majoritaire. Les Allemands craignent donc qu'une situation similaire se reproduise dans un pays où les partis extrémistes ont toujours été écartés du pouvoir.

À l'extrême droite, l'espoir d'un avènement
En ce 25 janvier, tout sourire, Alice Weidel, cheffe de file de l'AfD, applaudit. Et elle a de quoi se réjouir : le nouveau directeur de l'efficacité gouvernementale de Trump, Elon Musk, assiste par vidéo à un meeting de son parti. Le milliardaire, qui avait déjà affiché son soutien à la formation d'extrême droite, ne tarit pas d'éloge à son égard :
"Je suis très enthousiaste pour l'AfD, je pense que vous êtes le meilleur espoir pour l'Allemagne."
Qu'il est loin le temps où l'AfD était acculée de toutes parts après la révélation de réunions secrètes avec des néo-nazis et un plan de "remigration" pour tous les citoyens "non assimilés", c'est-à-dire d'origine étrangère ! Il ne faut pourtant pas oublier que ce scandale a été révélé il y a seulement un an, et que l'AfD, déjà placée sous surveillance comme groupe extrémiste, était menacée d'interdiction dans le pays. Aujourd'hui, le parti d'extrême droite réunit environ 22% des suffrages d'après les dernières estimations et enregistre la plus forte progression parmi les mouvements politiques. Il semble donc que la figure d'Alice Weidel semble avoir convaincu une partie des Allemands, qui sont parvenus à oublier les scandales entourant cette personnalité sulfureuse : issue d'une famille au passé trouble, ses grands-parents avaient leur carte au parti nazi, elle n'a pas manqué d'user de révisionnisme en qualifiant Hitler de "communiste" et de "socialiste" pour s'en distancier. Elle fait toutefois office de "modérée" au sein de son parti, dont l'aile la plus radicale emprunte volontiers des slogans utilisés par les nazis. Rappelons aussi qu'en 2022, une ancienne députée du parti avait été arrêtée alors qu'elle préparait un coup d'État avec une cellule terroriste d'extrême droite afin de rétablir un Reich dans le pays.
L'AfD a su progresser en surfant sur les récentes attaques impliquant des étrangers, comme celle d'Aschaffenbourg en janvier ou celle de Magdebourg en décembre. Le parti a aussi pu compter sur le soutien d'Elon Musk, qui tente depuis plusieurs mois d'interférer dans la politique européenne en soutenant à chaque fois des formations d'extrême droite. Le parti a aussi profité de son score aux européennes l'an passé (15% et une deuxième position devant le SPD), et ce, malgré les nombreuses polémiques entourant sa tête d'affiche Maximilian Krah ayant conduit au renvoi du parti du groupe européen d'extrême droite ID. L'AfD enregistre ses meilleurs scores dans les Länder d'Allemagne de l'Est, où il y a eu nettement moins d'immigrations et où la population est plus vieillissante. Ainsi, et pour la première fois depuis 1945, l'extrême droite est arrivée en tête d'une élection régionale en Thuringe, à l'Est, en septembre dernier, loin devant les chrétiens-démocrates.

Toutefois, les récentes manifestations dénonçant l'accord entre la CDU et l'AfD montrent que la mobilisation de la société civile reste encore forte pour faire barrage au parti d'Alice Weidel. Celles-ci pourraient bien avoir un impact sur les résultats du scrutin, sans qu'on soit encore bien sûr de leur influence réel.
Des suspicions d'ingérence russe qui posent problème
Musk n'est pas le seul à être accusé d'ingérence durant ces élections. Les autorités allemandes ont de bonnes raisons de croire que la Russie tenterait d'influencer dans l'ombre le scrutin par plusieurs procédés. D'abord, il y a eu cette vague de sabotages de voitures attribués à des militants écologistes, qui laissaient des autocollants où il était écrit "Sois plus vert", avec le visage du chef des écolos Robert Habeck. Il semblerait que ces sabotages soient orchestrés par Moscou dans le but de nuire à l'image du parti Grünen, fervent soutien de l'Ukraine depuis le début de la guerre en 2022.
De plus, le recours à l'intelligence artificielle est utilisé comme arme de déstabilisation pour influencer la population. Ainsi, dans une vidéo où un homme se présente comme l'ancien assistant parlementaire du député libéral Marcus Feber, ce dernier est accusé d'être en réalité un espion russe. Cette vidéo s'est avérée finalement être générée par IA. Selon l'ONG CeMAS, la Russie a aussi repris sa campagne "Doppelgänger" qui vise à reprendre des organes de presse reconnus en diffusant des fake news. Cette campagne se ferait au profit de l'AfD, qui a déjà été accusée d'accointance avec Moscou.
Ces tentatives de déstabilisation s'inscrivent dans un contexte d'ingérence russe lors d'élections en Europe, souvent dans des pays de l'Est, comme la Moldavie ou la Roumanie en décembre dernier. De quoi ajouter du désordre dans une campagne à couteau tirée et sur laquelle se joue non seulement l'avenir de l'Allemagne, mais aussi de l'UE tout entière qui compte beaucoup sur sa première économie pour affronter le risque de guerre commerciale dû au retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.
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