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  • ylanslimane

Arrêt sur image : Les poings levés des JO de Mexico de 1968

Alors que cette édition 2024 des JO de Paris touche à sa fin, revenons sur ce qui est sans doute le cliché le plus marquant pris dans l'histoire des JO : les poings levés des athlètes Tommie Smith et John Carlos, tous deux afro-américains, lors de la remise des médailles du 200 mètres aux JO de Mexico, le 16 octobre 1968. L'image intervient sur fond de ségrégation raciale aux États-Unis et d'Apartheid en Afrique du Sud.


Flickr

En montant sur le podium ce 16 octobre 1968, les américains Tommie Smith et John Carlos et l'australien Peter Norman savaient probablement qu'ils allaient marquer l'Histoire.


 

Une tentative de boycott et des menaces du CIO


1967. Les JO de Mexico, prévus pour l'année suivante, approchent à grands pas. En parallèle, des politiques de ségrégations des Noirs et d'autres minorités sont appliquées dans plusieurs pays du monde, comme aux États-Unis ou en Afrique du Sud, où les Noirs et les Blancs étaient séparés des espaces publics, dans le but de maintenir une domination de la race blanche, mais aussi en Australie, où la politique de l'Australie blanche favorisait encore l'immigration européenne au détriment de l'immigration asiatique notamment.


Voulant utiliser les JO comme une tribune politique pour exprimer leur mécontentement face à ces systèmes ségrégationnistes, un groupe d'athlètes noirs, l'Olympic Project for Human Rights (OPHR) lance un mouvement de boycott contre ceux-ci. Parmi eux, un certain Tommie Smith, étudiant en sociologie et coureur afro-américain, qui déclarait à l'époque :

"Pourquoi devrions-nous participer pour un pays, se donner à 100% et rentrer chez nous, où sont niés certains des droits qui nous reviennent légalement ?"

En réaction à ces mouvements, le Comité International Olympique bannit l'Afrique du Sud des Jeux à venir, et son président, Avery Brundage, envoie un avertissement aux partisans du boycott :

"Je ne pense pas que ces garçons seront assez bêtes pour protester pendant ces Jeux. Et s'ils s'avisent de le faire, ils seront vite renvoyés chez eux."

Finalement, les afro-américains renoncent au boycott et participent aux JO de Mexico. Tommie Smith et son ami John Carlos s'élancent tous les deux sur l'épreuve du 200 mètres. Le premier remporte la course et pulvérise le record du monde de l'époque. Le second termine à la troisième position, derrière l'australien Peter Norman, mais s'assure une place sur le podium. Ainsi, ce sont pas moins de 17 médailles qui vont être remportées par des athlètes afro-américains lors de ces Jeux, une victoire bien plus que symbolique pour ceux-ci qui prennent alors leur revanche sur une Amérique ségrégationniste et conservatrice.


Les coulisses d'un cliché historique


Wikimedia Commons

La fameuse image de la remise des médailles du 200 mètres des JO de Mexico, qui a très rapidement fait le tour du monde.


 

À la fin de la course, Norman, le coureur australien, vient féliciter Carlos. Tout aussi sensible à la cause noire que défendent ses deux rivaux, qui lui rappelle par ailleurs celle des Aborigènes dans son pays et la politique de l'Australie blanche qu'il combat, il décide de porter, lors de la remise des médailles, un badge contre la ségrégation raciale de l'OPHR.


Carlos et Smith, eux, iront plus loin. Lorsque l'hymne américain retentit, ils lèvent chacun un poing ganté de noir dans les airs, Smith le droit, Carlos le gauche. Le visage fermé, ils baissent la tête, la mine grave. Leurs chaussures sont défaites, déposées devant eux, les laissant en chaussettes sur le podium, symbole de pauvreté et d'exclusion sociale, que subissent leurs compatriotes aux États-Unis et en Afrique du Sud. Dans le même temps, Smith porte un foulard noir, tandis que Carlos ouvre son uniforme, en solidarité aux travailleurs à col bleu, et dévoile un collier de perle, là encore, symbole de la pauvreté des Noirs en Amérique qui ne peuvent pas se permettre d'acheter ce bijou réservé aux Blancs. Cette image, bourrée de symboles et portant un message éminemment politique, va être vue en direct par environ 400 millions de personnes. Dans le stade, on entend des réactions partagées, entre applaudissements et huées. Et évidemment, comme le laissait entendre ces réactions du public, cette action ne va pas être sans conséquence pour les athlètes.


De l'ostracisme à la réhabilitation


Bien évidemment, le président du CIO Avery Brundage, qui avait déjà averti les athlètes afro-américains, n'a que peu goûté à l'action menée par les trois athlètes. En conséquence, Smith et Carlos seront suspendus de l'équipe américaine et expulsés du village olympique et de Mexico-City, avant d'être bannis à vie des JO. Leur avenir aux États-Unis est également menacé suite à leur geste.


De son côté, Norman est autorisé à rester à Mexico, mais reçoit un avertissement du responsable de l'équipe australienne. Par la suite, il est constamment empêché de se rendre aux JO suivants : ainsi, malgré une troisième position aux épreuves de sélection en athlétisme pour les JO de Munich de 1972, il n'est pas retenu pour y participer. Finalement, il meurt en 2006 d'une crise cardiaque à Melbourne. Smith et Carlos, reconnaissants de Norman pour avoir partagé le poids de leur lutte des années plus tôt, font alors le voyage jusqu'en Australie pour assister à ses funérailles et portent son cercueil, envoyant donc un message fort de fraternité et de solidarité à la communauté Aborigène pour laquelle l'athlète australien s'était engagé.


Finalement, les deux athlètes afro-américains seront progressivement réhabilités par le gouvernement américain et par le CIO. En 2016, après avoir été ignorés pendant 48 ans par l'État américain, Smith et Carlos sont reçus à la Maison-Blanche par Barack Obama. De même, en 2019, ils sont intronisés au Hall of Fame du Comité olympique et paralympique américain. Pour l'occasion, John Carlos, interviewé par l'agence de presse Reuters, fait une déclaration marquante :

"Nous avons compris après 51 ans que la plus grande invention n'était ni l'avion, ni la télévision, ni le téléphone, mais la gomme : comprendre qu'on peut faire des erreurs dans la vie et qu'il ne doit pas y avoir de honte [à les effacer]."

Aujourd'hui devenu des légendes, l'histoire de Tommie Smith, John Carlos et Peter Norman nous apprend qu'il faut parfois attendre des décennies avant d'être reconnu pour le courage de son geste, à l'instar d'un autre grand homme Noir, Nelson Mandela, enfermé 27 ans pour s'être opposé à l'Apartheid, avant de devenir président de l'Afrique du Sud.


Flickr

Le geste de Tommie Smith et John Carlos restera sans doute comme l'une des images les plus marquantes des Jeux Olympiques modernes.

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