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Les enseignements d'une "super années électorale" pleine de surprises

Plus de quatre milliards. C'est le nombre de personnes appelées aux urnes en 2024, soit la moitié de la population mondiale en âge de voter. Si certaines élections étaient jouées d'avance dans les régimes les plus fermés, d'autres ont été le théâtre d'âpres batailles électorales, parfois violentes, avec des résultats déjouant certaines fois tous les pronostics. Mais quels enseignements pouvons-nous tirer de ces multiples campagnes ? Décryptage.


Pexels, Free Malaysia Today, FMT, Wikimedia Commons, Flickr

Florilège de chefs d'Etats élus ou réélus en 2024. De gauche à droite : Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud), Keir Starmer (Royaume-Uni), Donald Trump (Etats-Unis), Claudia Sheinbaum (Mexique), Vladimir Poutine (Russie), Narendra Modi (Inde), Ursula von der Leyen (UE), Shigeru Ishiba (Japon), Lei Ching-Te (Taiwan), Michel Barnier (France) et Nicolas Maduro (Venezuela).


 

Des campagnes de plus en plus violentes

Avant de nous attaquer au fond, commençons par la forme. En effet, on peut observer depuis quelques années que les campagnes électorales se font de plus en plus violentes, d'abord à cause des rhétoriques et expressions utilisées par les candidats eux-mêmes. Donald Trump, qui utilise l'outrance et la violence verbale comme une arme politique, est sans doute l'un de ceux qui illustrent le mieux cette idée. Ses déclarations chocs, qui se sont multipliés en fin de campagne, suffisait à "le disqualifier" pour son adversaire démocrate Kamala Harris, avec le résultat que l'on connaît. Quelques jours avant la fin de la campagne, Trump avait déclenché une énième polémique lorsqu'il avait abordé le cas de Liz Cheney, une des figures républicaine qui s'est engagée pour Harris dans la campagne :

"Mettons-la fusil en main face à neuf canons d'armes lui tirant dessus. Voyons ce qu'elle en penserait. Vous savez, avec les armes braquées sur elle."

Mais cette multiplication d'outrances verbales s'est accompagnée de violences physiques à l'encontre des politiques de tous bords. Toujours aux États-Unis, l'image d'un Donald Trump l'oreille ensanglantée, mais le poing conquérant avait fait le tour des réseaux sociaux en juillet dernier. D'autant plus que cette première tentative d'assassinat s'est accompagnée d'une autre en septembre, à laquelle le républicain avait aussi échappé de peu. Cette violence physique en campagne n'est pas exceptionnelle aux États-Unis, mais elle se faisait plus rare depuis les années 60, décennie qui avait vu trois tentatives d'assassinat réussir : celles de John F. Kennedy, de Robert Kennedy et de Martin Luther King.


L'Europe n'a pas non plus échappé au climat de violences politiques en campagne, notamment lors des élections européennes de juin dernier. L'Allemagne avait alors été particulièrement touchée, avec l'agression de plusieurs militants issus des Verts, puis d'un député européen social-démocrate qui collait des affiches dans une rue à Dresde, dans la Saxe. En France, la campagne éclair pour les législatives qui a suivi celle des européennes a aussi été l'occasion de constater la montée de ces violences. Selon le ministère de l'Intérieur, 51 agressions contre des candidats avaient été recensées, dont celle de la porte-parole du gouvernement de l'époque, Prisca Thevenot, élue députée depuis.


Radio-Canada

L'image de Donald Trump l'oreille ensanglantée mais le poing en l'air suite à une tentative d'assassinat le 13 juillet 2024 avait ensuite été utilisé comme un argument de campagne par celui-ci.


 

Une place décuplée des questions internationales


Avec un contexte international de plus en plus tendu, il est évident que les questions d'ordre des affaires étrangères occupent une place bien plus importante dans les campagnes nationales. En Europe, c'est bien sûr la question de la guerre en Ukraine et du soutien ou non à Kiev qui a le plus eu d'impact sur les scrutins, notamment en Europe de l'Est. Ainsi, en Finlande et en Lituanie, les présidents Alexander Stubb (conservateur) et Gitanas Nausėda (libéral, centre gauche) ont été élus sur un programme de soutien inconditionnel à la cause ukrainienne, alors même que le sujet fut omniprésent dans ces deux pays frontaliers avec la Russie. Mais ce ne fut pas le cas dans tous les pays d'Europe. Ainsi, en Slovaquie, le candidat à la présidentielle du gouvernement pro-russe, Peter Pellegrini, a succédé à la pro-européenne Zuzana Čaputová, qui a renoncé à se représenter à cause du stress lié à la gestion des conséquences de la guerre en Ukraine dans son pays. Cela illustre une tendance globale en Europe, qui s'est traduite par une progression des droites radicales favorables à un rapprochement avec Moscou lors des dernières européennes. En Autriche (législatives) et en Roumanie (présidentielles, second tour prévu en décembre), ces formations ont d'ailleurs obtenu des victoires lors des scrutins nationaux programmés dans ces pays.


Mais c'est aux frontières de l'Europe que le sujet du soutien à l'Ukraine où à la Russie fut un choix plus décisif encore, avec à la clé, la question d'un rapprochement avec la Russie ou l'Occident. La Géorgie a fait le premier choix, car bien que les résultats soient très contestés par l'opposition pro-européennes, ceux-ci montrent une victoire sans appel du parti au pouvoir Rêve Géorgien, accusé d'obéir aux ordres du Kremlin. La Moldavie, elle, semble avoir fait le deuxième choix, avec la validation à une très courte majorité d'un referendum sur l'adhésion à l'UE (50,35% des voix) et la réélection de la présidente pro-européenne Maia Sandu dans la foulée.


Mais le conflit russo-ukrainien n'est pas le seul à avoir eu un impact sur des élections. A Taïwan, territoire stratégique dans la haute technologie dont la Chine revendique le contrôle, et dans un contexte de regain de tension en ce début d'année, le vice-président sortant Lai Ching-Te a remporté le scrutin en janvier dernier, mais avec une avance moindre que sa prédéceseure Tsai Ing-wen sur ses opposants qui plaident pour un rapprochement avec le géant chinois. De plus, sa formation le DPP a perdu sa majorité absolue, débutant une période d'instabilité politique sur l'île qui pourrait profiter à la Chine.


Enfin, le conflit israélo-palestinien, qui a pris un tournant depuis l'attaque du Hamas du 7 octobre 2023 et la guerre asymétrique que mène Israël à Gaza depuis, a également eu son rôle à jouer dans certaines élections. Ainsi, le soutien de Kamala Harris à Israël, dans la droite lignée de la position de l'administration Biden, a, pour beaucoup, été l'une des principale cause de sa défaite, l'électorat arabe américain, stratégique car très présent dans certains Etats-clés, s'étant détourné des démocrates pour se tourner vers Trump. En Europe, certains partis ont également placé la situation humanitaire à Gaza au premier plan de leur campagne. C'est notamment le cas de LFI en France durant la campagne européenne, qui, par la voix de la juriste franco-palestinienne Rima Hassan, depuis élue députée européenne, s'est insurgée de la politique menée par le gouvernement d'extrême-droite de Benyamin Netanyahou en Israël.



Une défaite historique des gouvernements sortants


C'est quand on regarde de plus près les résultats des élections dans les démocraties libérales (libres, équitables et stables) que l'on se rend compte de l'ampleur du phénomène : tous les gouvernements sortants des pays développés qui ont organisé des élections législatives en 2024 ont été battus. Ce phénomène, rare dans l'Histoire, traduit bien comment une situation de crise économique peut se transformer en crise politique. En effet, l'inflation, couplée à une absence d'indexation salariale, a eu un effet considérable sur le coût de la vie et le niveau de revenu des ménages dans tous les pays, faisant par conséquent chuter fortement le soutien de la population à son gouvernement. La précédente crise de 2008 avait déjà illustré le phénomène, avec un recul des partis de gouvernement qui avait déjà été très important. Le vote sanction pourrait toutefois être encore plus important cette fois-ci.


Le Royaume-Uni est un excellent exemple de ce phénomène. Au pouvoir depuis 14 ans, le Parti conservateur a fait les frais d'une politique jugée pas assez social qui a conduit à une désintégration des services publics, notamment en matière de santé et d'une gestion vue comme calamiteuse à certains moments de la crise économique, notamment au moment de la nomination de Liz Truss en septembre 2022 qui, sous la pression a dû démissionner seulement un mois et demi après sa nomination, faisant d'elle la Première ministre la plus éphémère de l'Histoire du Royaume-Uni. En conséquence, le parti a subi en juillet dernier sa défaite la plus cinglante depuis sa création en 1834, alors que l'opposition travailliste a, au contraire, enregistré l'un de ses meilleurs résultats.


Autre exemple, même constat avec le Japon, qui s'est rendu aux urnes pour des législatives anticipées fin octobre. Le nouveau Premier ministre Shigeru Ishiba, qui a succédé au très impopulaire Fumio Kishida (20% d'approbations selon les derniers sondages avant sa démission) a convoqué ces élections pour se donner un nouveau souffle et tourner la page des scandales politiques à répétition que devait affronter son parti. Résultat : le Parti libéral-démocrate (national-conservateur), au pouvoir quasi sans discontinuer depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a perdu sa majorité, une première depuis 2009. Ishiba se voit donc dans l'obligation de négocier avec des formations d'opposition pour se maintenir au pouvoir, une position précaire comme le Japon en connaît rarement.


Progression des partis au pouvoir lors des élections législatives dans les démocraties libérales en 2024 :

Indonésie

PDIP (centre gauche) : -2,6% et -18 sièges Note : défaite du candidat à la présidentielle

Portugal

Corée du Sud

Croatie

Afrique du Sud

Belgique

France

Royaume-Uni

Autriche

Lituanie

Uruguay

Japon

États-Unis

Sénégal

Un glissement vers la droite et une montée des populismes prévisible


Mais si les partis de gouvernement sont en recul partout sur la planète, il en faut bien d'autres pour les remplacer. C'est ainsi qu'on voit émerger, dans ce contexte de double crise économique et politique, des partis voulant rompre radicalement avec les politiques libérales menées par leur prédécesseur. En promouvant un repli sur soi, une sécurité accrue et une rhétorique anti-étrangers, accusés d'être à l'origine de tous les maux du pays, ces partis se classent souvent à la droite radicale de l'échiquier politique, bien qu'il en existe aussi à gauche. Des dirigeants issus de cette mouvance politique sont récemment arrivés au pouvoir dans certaines démocraties libérales comme en Italie, aux Pays-Bas, mais aussi aux États-Unis, donc.


Les élections européennes ont été un moyen de jauger la progression de ces partis à travers l'UE. Ainsi, l'extrême-droite est arrivée en tête dans 5 pays sur 27 (même nombre qu'en 2019), et elle était en deuxième position dans 5 autres (contre un seul en 2019). Elle a aussi amélioré son score dans la plupart des autres États, même dans ceux qui semblaient avoir été mis à l'écart de cette poussée, comme au Portugal. Lors des législatives de mars dernier, le parti Chega, dont son chef André Ventura s'était illustré pendant la crise de la covid en voulant interner les Roms dans des camps, a obtenu près de 19% des suffrages et raflé 50 sièges au Parlement, une première depuis la révolution des Œillets qui avait mis fin à la dictature salazariste, et dont Ventura ne cache pas son admiration. En Allemagne, particulièrement concerné par la montée du populisme, des élections régionales organisées en septembre dernier en Saxe et en Thuringe, des Lands de l'Est, confirme cette montée, l'AfD (extrême-droite nationale-conservatrice) et le BSW (gauche conservatrice et nationaliste) réunissant presque la moitié des suffrages en Thuringe.


*Résultats obtenus par les groupes politiques d'extrême droite au Parlement européen. Le groupe EFD est remplacé en 2019 par le groupe ID, qui est lui-même remplacé en 2024 par le groupe PfE. Le groupe ENS est créé en 2024.


 

L'élection de Donald Trump aux États-Unis s'inscrit aussi dans ce contexte. En effet, si l'administration Biden a su maintenir la croissance américaine à un bon niveau et garder les finances du pays dans le vert, ceci ne s'est pas fait ressentir pour la population qui a subi de plein fouet la nette hausse de l'inflation et la réduction du pouvoir d'achat. Trump a donc tout logiquement axé sa campagne sur ce sujet, mais aussi sur celui de l'immigration, son sujet de prédilection.


Des paysages politiques de plus en plus fragmentés


On l'a vu avec certains exemples mentionnés plus tôt, former un gouvernement pour un parti seul devient de plus en plus difficile dans bon nombre de pays. La cohabitation entre les partis traditionnels de gouvernement et les nouveaux partis à tendance populiste dans le jeu politique conduit à une dispersion des voix, qui se traduit ensuite par une absence de majorité claire pour gouverner. De plus, et même dans les pays habitués à être dirigés par plusieurs partis qui se coalisent, il devient de plus en plus compliqué pour ceux-ci de s'entendre sur un compromis, à cause de l'éloignement idéologique toujours plus important entre ces partis.


Mais ce qui est inédit avec cette année 2024, c'est que même dans des pays qui ont des modes de scrutin donnant traditionnellement une majorité solide au parti gagnant, les élections ont tout de même débouché sur une impasse politique. C'est le cas en France, où les législatives anticipées décidées par le président Macron après la sévère défaite de son camp aux européennes ont conduit à l'éclatement du paysage politique en trois blocs de taille plutôt équivalente. Pourtant, le scrutin uninominal majoritaire à deux tours appliqué en France avait toujours garanti jusqu'alors (à l'exception de la précédente élection de 2022) une majorité au parti vainqueur, qui était toujours celui du président élu quelques mois plus tôt, lui permettant de mettre en œuvre son programme sans problème. La nouvelle donne politique, couplée à l'incapacité des trois blocs à s'entendre pour former une majorité claire, condamne le gouvernement formé à être minoritaire, pouvant tomber à tout moment sous le coup d'une motion de censure de l'opposition. Cette situation intenable conduira certainement Emmanuel Macron à convoquer de nouvelles élections quand la Constitution le lui permettra en 2025.


L'Humanité

Des militants de gauche fêtant la courte victoire du Nouveau Front Populaire le 7 juillet 2024, mais aussi la défaite du Rassemblement National, pourtant donné vainqueur selon les sondages d'opinion.


 

D'une démocratie libérale à une démocratie défaillante


Nous sommes par conséquent en droit de nous demander si les démocraties libérales ne deviendraient pas défaillantes. En effet, elles ne permettent plus de donner des majorités stables aux partis vainqueurs et elles ne sont plus un moyen d'exclure du jeu politique des partis qui veulent compromettre ses principes. Elles ne garantissent plus non plus un cadre de débat apaisé, avec des campagnes qui se font de plus en plus violentes. Finalement, cette "super année électorale" n'a pas été l'occasion de nous montrer que ce modèle est voué à disparaitre ?


Pas tout à fait. Si effectivement, il est de plus en plus dur de trouver des compromis, cela n'en reste pas moins possible, on l'a vu au Japon, mais aussi en Espagne l'année dernière où le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez s'est maintenu au pouvoir en négociant avec les indépendantistes. De même, les partis populistes prospèrent, mais leur confrontation à la réalité du pouvoir suffira peut-être à les faire reculer, comme au Brésil où le climatosceptique Jair Bolsonaro s'est fait battre par le candidat de gauche Lula aux dernières élections. Même aux dernières européennes, certains pays dans lesquels l'extrême-droite a été porté au gouvernement ont vu ces partis reculer dans les urnes, comme en Suède ou en Finlande.


Et même dans des régimes qui peuvent être qualifiés de démocraties défaillantes et où l'État de droit et les libertés individuelles sont bafoués, il est encore possible d'espérer du changement, comme en Turquie, où l'opposition a infligé un sévère revers au gouvernement d'Erdogan lors des municipales de mars, et en Inde, où le suprémaciste hindou Narendra Modi, qui était vu comme intouchable, a perdu sa majorité absolue en juin et fut contraint de s'appuyer sur des petits partis pour continuer à gouverner.


L'année électorale n'est toutefois pas terminée. Des scrutins sont encore prévus en Irlande, en Islande, en Roumanie ou au Ghana. L'année 2025 s'ouvrira avec une élection sous haute tension en février prochain en Allemagne, suite à la chute de la coalition menée par le chancelier social-démocrate Olaf Scholz. Viendront ensuite dans le courant de l'année des scrutins au Canada, en Pologne, en Norvège et en Australie.

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