Suite à un bras de fer entre Elon Musk, le milliardaire américain à la tête, entre autres, de X (anciennement Twitter), et du juge de la Cour Suprême brésilienne Alexandre de Moraes, qui s'est fait le porte-voix de la lutte contre la désinformation, le réseau social a été banni du pays, fait inédit pour ce grand État d'Amérique latine. Mais cette décision constitue avant tout un revers cinglant pour Elon Musk, proche des milieux complotistes et ultra-conservateurs, et les responsables d'extrême droite du pays, d'autant plus qu'il n'y a pas qu'au Brésil que le réseau social pourrait être sous le coup de sanctions judiciaires.
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Alexandre de Moraes et Elon Musk se sont engagés depuis plusieurs mois dans un duel au nom de la liberté d'expression qu'ils prétendent tous les deux défendre, malgré deux visions très éloignées l'une de l'autre de ce concept.
Un bras de fer qui prend des proportions inédites
Depuis le 31 août, c'est pas moins de 220 millions de brésiliens qui n'ont plus accès à X, le fameux réseau social qui a changé de nom et de logo en 2022 suite à son rachat par le milliardaire américain Elon Musk. Mais comment en est-on arrivé là ? Pour répondre à cette question, il faut remonter en avril dernier, lorsque Musk a réactivé le profil de personnalités de l'extrême droite brésilienne, proche de l'ancien président Jair Bolsonaro, et sous le coup d'une enquête concernant la tentative du coup d'État de ce dernier en janvier 2023. Il leur est aussi reproché de diffuser des fakes news à tendance complotiste. En réaction, le juge Alexandre de Moraes, qui s'est engagé à lutter contre la désinformation sur les réseaux sociaux, a fait bloquer les comptes bancaires de Starlink, le fournisseur d'accès à Internet par satellite de SpaceX, société appartenant à Elon Musk.
Mais ce n'est pas tout. Le réseau social était déjà dans le viseur du juge lors de l'élection présidentielle de 2022, durant laquelle il est soupçonné à des "milices numériques" d'avoir utilisé de l'argent public pour mener une campagne de désinformation, notamment sur X, en faveur du président d'extrême droite encore en place à ce moment. Ainsi, le milliardaire fait l'objet d'une enquête pour entrave à la justice, organisation criminelle et incitation au crime.
À un mois d'élections municipales dans le pays, la décision du juge de Moraes d'interdire X est donc éminemment politique, d'autant plus que les bureaux du réseau social avaient été fermés à la mi-août et qu'il n'avait plus de représentant légal au Brésil pour répondre aux accusations du juge. La facture de 18 millions de réales d'amendes (l'équivalent de 3 millions d'euros) infligé au réseau ne pouvait donc être réglée par l'application. Mais au-delà de l'interdiction, cette décision va avoir un impact sur les milieux ultra-conservateurs proches de Jair Bolsonaro.
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L'ancien président d'extrême droite Jair Bolsonaro est souvent surnommé le "Trump du Brésil", en raison de la proximité idéologique entre les deux hommes.
Une complaisance entre X et les milieux d'extrême droite
Homme de droite, Alexandre de Moraes est devenu la bête noire des bolsonaristes. Déjà durant la présidence de l'ex-président, il s'est attelé à lutter tout particulièrement contre la désinformation d'extrême droite, en supprimant des dizaines et dizaines de messages et de comptes présentant des fakes news, et en interdisant la messagerie Telegram où des groupes néonazis prospéraient, décision annulée depuis. Mais surtout, c'est lui, en tant que président du Tribunal supérieur électoral, qui a condamné Bolsonaro à huit ans d'inéligibilité l'an passé, suite aux attaques sans fondement de celui-ci sur le système d'urnes électroniques, une déclaration de guerre pour les soutiens de l'ex-président.
Depuis 2022 et le rachat de Twitter par Musk, les partisans de l'ancien pouvoir trouvent refuge sur le réseau social, qui fait preuve d'une certaine bienveillance envers ceux-ci. Ainsi, promouvant une liberté d'expression totale, le milliardaire américain a réintégré des comptes adeptes de théories complotistes, mais aussi aux positions racistes, misogynes, homophobes, et parfois appelant à des actions violentes contre le pouvoir en place, comme lorsque les militants bolsonaristes ont envahi la place des Trois Pouvoirs à Brasília pour tenter de renverser le président fraichement élu Lula. Si de nombreuses voix, dont celle d'Alexandre de Moraes et de Lula, se sont élevées pour demander à Elon Musk de faire quelque chose, ce dernier a balayé ces appels d'un revers de main. En effet, le patron de X est partisan de Donald Trump, lui-même ami de Bolsonaro et dont la proximité idéologique n'est plus à prouver.
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Jair Bolsonaro (à gauche) et Elon Musk (au centre) en 2022, quelques mois avant l'accession au pouvoir de Lula.
Des manifestations de militants bolsonaristes ont éclaté quelques jours après l'interdiction de X dans le pays, signe de la fébrilité de ces milieux qui savent qu'ils ont perdu un porte-voix important. Le rassemblement le plus important a eu lieu à São Paulo, où environ 45 000 personnes sont venues manifester leur colère, en présence de l'ancien président Jair Bolsonaro. Ce dernier a d'ailleurs appelé le Sénat à mettre un frein à Alexandre de Moares, "ce dictateur qui fait encore plus de mal au Brésil que Luiz Inacio Lula da Silva lui-même", selon lui.
Va-t-on vers une situation similaire en Europe ?
Mais il n'y a pas qu'au Brésil que X pose problème. En effet, en parallèle de ses déboires dans le pays d'Amérique latine, Elon Musk n'est pas non plus en odeur de sainteté avec les pays de l'Union européenne. Ainsi, X est sous le coup d'une enquête de Bruxelles concernant le manque de transparence des publicités de l'application, mais aussi à propos des coches bleues censées certifier une source d'information sûre, qui tromperait les utilisateurs. Le réseau social s'expose donc à des amendes pouvant aller jusqu'à 6% de son chiffre d'affaires mondial.
De plus, le rôle qu'a joué X dans les émeutes racistes et islamophobes qui ont suivi la mort de trois fillettes début août au Royaume-Uni n'a pas arrangé la situation. Effectivement, le réseau social a propagé des fakes news selon lesquelles le suspect du meurtre était un demandeur d'asile musulman, provoquant des violences contre la communauté musulmane de militants d'extrême droite.
À la mi-août, alors que le milliardaire s'apprêtait à interviewer l'ex-président et candidat à la présidentielle, Donald Trump, le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton avait adressé une mise en garde à Musk en lui demandant de se conformer à la législation européenne. La réaction de l'intéressé ne s'est pas fait attendre : " Pour être honnête, je voulais vraiment répondre avec ce mème de Tonnerre sous les tropiques, mais je ne ferais JAMAIS quelque chose d’aussi grossier et irresponsable !". Le mème en question comportait la mention : "Take a big step back, and literally, fuck your own face !". Ambiance.
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Alexandre de Moraes n'est pas le seul à vouloir la tête de Musk et de son réseau social : le français Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, s'est aussi engagé dans un bras de fer face au milliardaire américain.
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