Alors que l'Europe a les yeux rivés sur la guerre en Ukraine depuis maintenant plus d'un an et demi, elle en oublierait presque que de nouvelles tragédies ont vu le jour depuis. La situation en Tunisie en est un bon exemple : violence contre les migrants sub-sahariens, inflation qui plonge le pays dans la pauvreté, démocratie en danger... et absence de réponse de l'Occident. Voyons quel est la situation dans ce pays qui était pourtant le précurseur de la démocratie dans le Maghreb avec les Printemps arabes.
Mizane
Le racisme et la xénophobie, attisés par le président tunisien Kaïs Saïed, mettent en danger de mort les migrants sub-sahariens vivant dans le pays.
Kaïs Saïed, l'homme de la discorde
Octobre 2019, Tunisie. Un certain Kaïs Saïed, alors peu connu du grand public, est élu démocratiquement à la tête du pays, marquant une rupture avec les politiques passées. En effet, les Tunisiens se reconnaissaient désormais plus en cet homme qu'en les autres personnalités politiques du pays, marquées par divers scandales ou controverses. Cependant, à partir de 2021, le président va commencer à prendre un tournant autoritaire dangereux, surtout pour un pays considéré comme précurseur en matière de démocratie dans la région maghrébine, à la suite des Printemps arabe de 2011 qui avaient vu la fin de plus de 20 ans de dictature sous Ben Ali. Concernant l'autoritarisme de Saïed, on peut surtout retenir le gel du Parlement et la dissolution de l'Assemblée nationale, l'accaparement des pleins pouvoirs ou encore la réécriture de la Constitution de 2014 afin de la tourner à son avantage. Rappelons aussi que le président tunisien s'est également employé à garder un certain contrôle sur la presse et l'information, ayant fait par exemple enfermé le directeur de Mosaïque FM, la radio la plus écoutée du pays. Ainsi, Saïed est devenu l'une des seules personnalités à pouvoir prendre les décisions et influencer la scène politique tunisienne.
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Kaïs Saïed, l'homme fort de Tunisie, s'est récemment démarqué pour son autoritarisme.
Des attaques racistes et xénophobes qui entrainent une catastrophe humanitaire
Le président tunisien s'en est également récemment pris aux migrants d'origines sub-sahariennes à travers ses interventions télévisées. Il a par exemple déclaré en février dernier à propos de l'immigration que cela était :
"Un plan criminel pour changer la démographie du pays."
Cette théorie, proche de ce que défend l'extrême droite en Occident, a d'ailleurs été félicité par le polémiste et président du parti Reconquête ! Eric Zemmour sur Twitter (maintenant X) :
"Les pays du Maghreb eux-mêmes commencent à sonner l’alarme face au déferlement migratoire."
Ces propos concernant les migrants d'origine sub-sahariennes peuvent s'expliquer par le fait que la plupart des pays de cette zone sont chrétiens, tandis que la Tunisie est un pays musulman. Ainsi, Saïed considère que l'afflux de ces migrants pourrait bouleverser l'équilibre religieux en Tunisie, et suggère, en conséquence, d'expulser toutes ces personnes. Ce discours trouve un fort écho dans le pays, avec la montée du nationalisme tunisien qui cherche à décrédibiliser les migrants sub-sahariens avec un discours raciste. On peut noter par exemple les propos de la députée Fatma Mseddi qui a ironiquement qualifié un homme noir de "futur gouverneur de Sfax", ville de l'est du pays qui concentre la plus grande partie des migrants. Mais depuis début juillet, la peur de se retrouver expulsée est devenu une réalité pour des centaines de migrants de Sfax, dont la plupart ont été abandonnés dans le désert à la frontière libyenne. Mais la Libye ne leur permettant pas d'entrer sur son territoire, ils se retrouvent donc sans eau ni nourriture au milieu du désert. Et bien que l'ONG Médecins du Monde est demandé aux autorités tunisiennes de faciliter l'intervention d'organisations de la société civile pour leur venir en aide, cette demande est restée vaine pour l'instant.
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La ville de Sfax, deuxième plus grande du pays, concentre la plus grande communauté de migrants de Tunisie.
Une population davantage préoccupée par la vie chère
Mais pendant que le président s'arroge les pleins pouvoirs et qu'une catastrophe humanitaire menace les migrants vivant dans le pays, la population mène un tout autre combat : celui de vivre malgré une vie de plus en plus chère et des pénuries à répétitions. En effet, la situation économique en berne de la Tunisie est notamment dû à l'inflation sur les denrées alimentaires, qui est elle-même une conséquence de la pandémie de Covid-19, de la baisse du tourisme, ou encore de la guerre en Ukraine. Ainsi, la vie de la population est menacée par une hausse de prix sans précédent. De plus, cela entraîne également une pénurie sur certains produits de première nécessité, tels que le lait ou le pain. Et même si des manifestations ont pu être organisé contre le président Saïed, comme en octobre 2022, la situation ne semble guère changer dans ce pays où les habitants voient leurs conditions de vie se dégrader continuellement
Un silence "assourdissant" du reste du monde
Avec une situation aussi préoccupante, on pourrait s'attendre à juste titre à des sanctions, où tout du moins à des réactions de la communauté internationale. Cependant, si on excepte les condamnations du discours de Kaïs Saïed contre les migrants en février dernier par l'Union Européenne et l'Union africaine, on constate une indifférence totale du reste du monde face à la catastrophe humanitaire du pays. Bien que la Tunisie viole en toute connaissance de cause les Conventions de Genève, qu'elle a pourtant signé, et même si certains organes des Nations Unies ont été saisis comme le Conseil des Droits de l'Homme, l'absence de réactions de la communauté internationale donne une crédibilité aux actions du président Saïed. Par ailleurs, notons la position ambigu de l'Union Européenne sur la question, qui a signé un partenariat avec la Tunisie qui contient la question de l'immigration, et qui s'intéresse notamment à la limitation du nombre de migrants présents illégalement sur le territoire européen. Ainsi, l'UE évite de faire pression sur le gouvernement tunisien, alors même qu'ils sont partenaire sur ce sujet. La situation tunisienne reste donc un sujet tabou en Europe, et plus largement, dans le monde entier.
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De gauche à droite : le Premier Ministre des Pays-Bas Mark Rutte, la présidente de la Comission européenne Ursula Von Der Leyen, le président tunisien Kaïs Saïed, et la Première Ministre italienne Giorgia Meloni, se serrant la main pour symboliser l'accord passé entre l'UE et la Tunisie.
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