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Andor, miroir d'un monde sous surveillance

  • ylanslimane
  • 4 août
  • 11 min de lecture

Quand on pense à Star Wars, on s'imagine tout de suite les vaisseaux spatiaux, les sabres laser ou les chasseurs de prime redoutables. Mais ce serait oublier que cet univers est bien plus vaste et ne se limite plus qu'à une lutte binaire entre deux camps représentant le bien et le mal. Entre répression, surveillance et désinformation, il pourrait même être une critique acerbe des dérives de notre propre monde, notamment à travers la vision d'une série en particulier : Andor. Décryptage.

Cassian Andor, personnage secondaire du film Rogue One sorti en 2016, a obtenu sa propre série en 2022, reconduite pour une saison 2 en 2025 et acclamé par la critique. | Heute.at
Cassian Andor, personnage secondaire du film Rogue One sorti en 2016, a obtenu sa propre série en 2022, reconduite pour une saison 2 en 2025 et acclamé par la critique. | Heute.at

Mais au fait, ça sort d'où Andor ?


Sorti en 2022 en pleine période creuse pour Star Wars, alors que la dernière trilogie n'a pas su convaincre les fans et que les séries jugées très moyennes se multiplient sur Disney +, Andor apporte un vent de fraîcheur bienvenu à l'univers. Pensée pour être un préquel au film Rogue One, sorti en 2016, faisant lui-même le pont avec l'épisode IV Un nouvel espoir, la série est un succès critique retentissant pour Disney. L'histoire se concentre sur le personnage de Cassian Andor, contraint à devenir un espion rebelle, mais qui va finalement accepter son rôle après avoir été confronté à la violence de l'Empire partout dans la galaxie. Plus mature, la série n'hésite pas à sortir de la zone de confort habituelle des contenus Star Wars et Disney de manière générale en abordant des thèmes graves, comme la répression ou la désinformation. La saison 2 sortie en mai dernier va même plus loin, en nous rappelant des événements bien réels et très actuels. Pari gagnant : la série est nommée dans 14 catégories aux Emmys qui se tiendront le 15 septembre prochain. Andor nous plonge donc dans les rouages d'un pouvoir autoritaire symptomatique de notre époque, que nous allons tenter de décortiquer.


Comment la machine impériale étouffe sans faire de bruit ?


Oubliez les Stormtroopers sans âme et Dark Vador tout-puissant. Andor met un visage sur l'Empire, froid, autoritaire et bureaucratique. En nous présentant le BSI, un bureau collectant des renseignements afin de mettre en place des mesures pour sécuriser l'Empire, la série nous montre le système de l'intérieur et comment celui-ci cherche à étouffer la population sans contestation. Sa stratégie, qui consiste à laisser quelques libertés au peuple avant de lentement les lui reprendre, justifie la longévité de ce système que nous connaissions finalement assez peu. D'ailleurs, l'esthétique même du QG du BSI, épurée, grise et géométrique, renforce ce sentiment d'oppression et de contrôle, mais sans être particulièrement impressionnante, elle semble même rationnelle. La série s'intéresse aussi à la rébellion dans toute sa diversité, en nous présentant le personnage de Luthen Rael (Stellan Skarsgård). En poussant l'Empire à la radicalisation, quitte à faire souffrir des innocents, il souhaite déclencher une étincelle qui se propage à toute la galaxie et ainsi lancer la révolution. C'est ce qu'il cherche à faire dans la saison 1 avec le braquage d'Aldhani, qui conduit à des arrestations de masse de la part de l'Empire, poussant celui-ci à montrer son vrai visage. Pour éviter d'être décrédibilisés aux yeux de l'opinion, les généraux impériaux cherchent à désigner des boucs émissaires, conspués dans les médias impériaux, pour faire passer la pilule, même si cette stratégie a ses limites.


Si ces idées peuvent paraître abstraites, elles ont bien une inspiration réelle : les régimes illibéraux. L'exemple parfait est celui de la Hongrie de Viktor Orbán. Au pouvoir sans discontinuer depuis 2010, le nationaliste s'est d'abord fait passer pour un conservateur classique avant de rapidement changer de ton. Réécriture de la Constitution en négligeant la liberté d'expression et l'indépendance judiciaire, loi restreignant les droits des ONG, prise de contrôle des médias... En 15 ans, Orbán et son parti le Fidesz ont progressivement mis la démocratie hongroise en péril, tout en s'attaquant aux migrants ou bien aux minorités sexuelles, tant et si bien que les rassemblements promouvant l'homosexualité ont purement et simplement été interdits en 2025. En réaction, la Pride de Budapest, pourtant interdite, a rassemblé près de 200 000 personnes le 28 juin dernier. En se radicalisant, le gouvernement hongrois a donc accru la résistance face à ses mesures, exactement comme le résumait la stratégie de Luthen dans Andor.


Face à un gouvernement en croisade contre la communauté LGBTQ+, près de 200 000 personnes sont venues défiler à Budapest pour la Pride annuelle, dont 70 eurodéputés venus de toute l'UE. | Heute.at
Face à un gouvernement en croisade contre la communauté LGBTQ+, près de 200 000 personnes sont venues défiler à Budapest pour la Pride annuelle, dont 70 eurodéputés venus de toute l'UE. | Heute.at

Comment rendre la prison invisible ?


Mais la série va encore plus loin. Dans la saison 1, un arc est consacré à la prison de Narkina V, dans laquelle Cassian Andor (Diego Luna) est envoyé à la suite d'une arrestation arbitraire. On découvre vite que cette prison n'a rien de banal : cellules ouvertes, sol électrique, compétition entre les prisonniers... Tout est fait pour minimiser la présence de gardiens, mais maximiser le contrôle des prisonniers entre eux, qui ne savent jamais vraiment s'ils sont surveillés. Cette prison fait écho à une idée née au XVIIIᵉ siècle : le panoptique imaginé par le philosophe Jeremy Bentham. Il s'agit d'un modèle de prison qui se base sur une tour centrale et qui permet au gardien de voir toutes les cellules disposées en cercle autour de lui. Les prisonniers ne savent jamais s'ils sont réellement surveillés, les conduisant à s'auto-surveiller et à se surveiller entre eux pour éviter d'être punis.


Le panoptique et la prison de Narkina V sont une métaphore d'une société disciplinaire dans laquelle l'ordre social repose sur la surveillance et la normalisation des comportements. C'est le philosophe français Michel Foucault, dans son essai Surveiller et punir (1975), qui développe cette idée. De la même façon que Cassian et ses compagnons, les individus reproduisent sans cesse l'ordre tel qu'il est défini dans la société. Et cela est encore plus frappant dans une société où l'information est verrouillée et où les citoyens deviennent des agents de la propagande du pouvoir. Quitte à utiliser le mensonge pour tordre la vérité à son avantage.


Propagande, fake news : l'arme du mensonge


Dans Andor, l'une des armes les plus dangereuses de l'Empire est la désinformation. Un arc complet est consacré à cette question dans la saison 2 : l'arc de Ghorman. Alors que l'Empire s'intéresse à la planète afin d'exploiter le kalkite, un minerai essentiel à la création de l'Étoile de la Mort, le directeur impérial Orson Krennic (Ben Mendelsohn) orchestre une propagande intense et néfaste visant les habitants de la planète, dans le but de provoquer la création d'une rébellion qui justifierait le recours à la répression et la prise de contrôle de la planète par l'Empire. Le plan de Krennic fonctionne, la galaxie se laissant persuader par les médias impériaux et les Ghormans s'organisant autour du Front de Ghorman tandis que l'Empire étend petit à petit son contrôle sur la planète. Cette situation trouve une conclusion tragique dans l'épisode 8 quand les Ghormans se réunissent pacifiquement sur la place Ghorman, sans s'apercevoir qu'ils se retrouvent cernés par les forces impériales, et alors qu'ils entament le chant de leur hymne national, un sniper impérial tire sur un Stormtrooper et provoque une émeute qui se termine en massacre de la population. L'Empire ayant obtenu le contrôle total de la planète, il poursuit sa propagande en parlant d'une attaque planifiée et orchestrée par les Ghormans. Face à cette situation, la sénatrice Mon Mothma (Genevieve O'Reilly) prononce un discours au Sénat, son dernier avant de fuir, dans lequel elle parle explicitement de génocide, fait inédit dans un programme Star Wars :

'La quête absolue de vérité de cette chambre a finalement été abandonnée sur la plaza de Ghorman. [...] Ce qu'il s'est passé il y a 24h sur Ghorman est ce qu'il faut bien nommer un génocide !'

Ce qu'essaye de dénoncer la série ici fait référence à une période ouverte en 2016 avec l'élection présidentielle américaine et qui se poursuit encore aujourd'hui. Durant la campagne qui oppose Donald Trump à Hillary Clinton, le républicain a recours à une stratégie contre laquelle la démocrate n'était pas préparée : il accuse cette dernière de désinformation constante en propageant lui-même des chiffres complètement faux, mais qui sèment le trouble dans l'opinion public américaine. Une affaire résume très bien cette confusion générale : le Pizzagate. Née sur les réseaux d'extrême droite proche de Trump, cette théorie complotiste qui affirme que Clinton est au centre d'un réseau pédocriminel dont le cœur se situerait dans une pizzeria de Washington gagne en popularité en étant recommandé par les réseaux sociaux et les moteurs de recherche quelques jours avant l'élection. Pour beaucoup, cette affaire sordide contribue à la victoire de Trump, marquant ainsi le début d'une ère de post-vérité, dans laquelle les faits ont moins d'importance que les émotions et les opinions personnelles.


Mais si la série critique la désinformation qui trouve son apogée à l'heure des réseaux sociaux et de l'IA, elle insiste particulièrement sur l'importance pour chacun de garder une individualité propre.


L'individu, une menace pour l'Empire


Un personnage représente bien comment l'individualité de chacun joue un rôle primordial dans la survie ou non d'un régime autoritaire, en l'occurrence l'Empire : Syril Karn (Kyle Soller). Dans la saison 1, Syril représente tout ce que n'est pas Cassian : froid, obsédé par l'ordre et le contrôle, son objectif ultime est de servir l'Empire en retrouvant Andor coûte que coûte, même si cela implique de désobéir à ses supérieurs. Bercé dès son plus jeune âge au discours impérial, il ne remet jamais en question sa mission ni sa foi envers l'Empire. Or, dans la saison 2, le personnage change petit à petit d'état d'esprit. Alors qu'il est en mission d'infiltration du Front de Ghorman pour sa femme Dedra Meero (Denise Gough), il commence à remettre en doute la vérité officielle diffusée par l'Empire. Étant au contact des Ghormans, qui souffrent énormément de cette situation qu'ils n'ont pas cherchée, Syril confronte Dedra, qui est au courant de la vérité et de ce qui se joue sur Ghorman. Dans une ultime scène, alors qu’il obtient enfin la possibilité d’atteindre son but ultime, c’est-à-dire tuer Andor et éliminer le désordre qu’il a haï tout au long de sa vie, il se dégonfle et meurt alors qu’il venait seulement de remettre en question toutes ses actions au sein de l’Empire. La mise en scène joue aussi un rôle dans son évolution : à mesure que le personnage exprime des doutes sur sa mission, il est filmé seul et dans des cadres larges, comme si pour la fois il se retrouvait seul face à ses doutes, exprimant enfin un point de vue individuel, à rebours de l'Empire. Il n'est d'ailleurs pas le seul à être filmé de cette façon : Luthen, Mon Mothma ou encore Kleya y ont aussi droit.


Cette idée de masse aveuglée par la propagande d'un régime fasciste a été étudiée de très près par les sciences humaines et sociales. Dans Les origines du totalitarisme (1951), la politologue et philosophe Hannah Arendt affirme que les régimes totalitaires, en s'appuyant sur le nazisme et le stalinisme, se fondent sur la destruction de l'individualité par la propagande afin de créer des masses incapables de réfléchir par elles-mêmes et de distinguer la vérité officielle de la vérité objective. Theodor Adorno, lui, explique dans son ouvrage La personnalité autoritaire (1950) qu'il existe certaines personnes plus susceptibles d'adhérer à l'idéologie des régimes fascistes et autoritaires. Cette "personnalité autoritaire" se caractérise chez un individu par la recherche d'un ordre social rigide et le rejet du changement, expliquant pourquoi celui-ci trouve refuge dans une propagande populiste et simplificatrice qui aurait une vision binaire de la société entre le bien, c'est-à-dire l'ordre établi et le mal, sous-entendu le chaos. Cette description correspond parfaitement à Syril, du moins dans la saison 1, quand celui-ci était complètement endoctriné par l'Empire et persuadé que Cassian Andor était un ennemi existentiel à abattre au plus vite.


À gauche, Syril Karn lors de sa première apparition dans l'épisode 1 de la saison 1, et à droite, lors de sa dernière apparition dans l'épisode 8 de la saison 2. On peut voir que l'évolution de Syril, initialement obsédé par l'ordre et la droiture, n'est pas que mentale, mais aussi physique. | Captures d'écran YouTube
À gauche, Syril Karn lors de sa première apparition dans l'épisode 1 de la saison 1, et à droite, lors de sa dernière apparition dans l'épisode 8 de la saison 2. On peut voir que l'évolution de Syril, initialement obsédé par l'ordre et la droiture, n'est pas que mentale, mais aussi physique. | Captures d'écran YouTube

L'idée de masse et de personnalité autoritaire trouve aujourd'hui un écho particulier autour des questions d'immigration, omniprésente dans l'opinion publique de nombreux pays. Par exemple, en Pologne, des groupes de citoyens patrouillant aux frontières de l'Allemagne pour chasser les migrants refoulés sur le sol allemand se sont formés début juillet, sous les applaudissements du président nouvellement élu du pays Karol Narowcki, membre du PiS, un parti national-conservateur :

"L’État polonais ne remplit pas ses obligations de protéger notre frontière occidentale [...] La frontière n’est pas gardée par l’État polonais, mais elle est gardée par les patriotes polonais, que je remercie d’être là."

Les mouvements ultra-conservateurs cherchent donc à persuader les différentes classes sociales des pays que le véritable danger, ce sont les migrants représentant une menace existentielle pour eux, car ils bouleverseraient l'ordre établi. Mais si ces mouvements exècrent l'individualité, qui peut remettre en cause leur version des faits, ceux qui entendent lutter contre eux sont aussi handicapés par celle-ci.


L'individu peut-il vouer une rébellion à l'échec ?


On l'a vu, l'individualité est une notion essentielle dans Andor, car sans elle la rébellion ne pourrait pas perdurer et l'Empire ne serait pas contesté. De la même façon, il est normal que cette notion conduise les individus à entrer en conflit quant aux stratégies à adopter dans leur lutte face à l'Empire. Or, ces conflits font ressortir de l'orgueil, qui mène à la création de factions concurrentes au sein même de la rébellion. La série nous présente les divergences profondes entre le Conseil rebelle, qui dirige l'Alliance rebelle, et Luthen Rael, pourtant le principal instigateur de la lutte contre l'Empire. Les méthodes de Luthen sont conspuées par le Conseil, car jugées trop radicales et mettant en danger d'innombrables vies. Comme Luthen le dit lui-même :

"Je me suis condamné à utiliser les méthodes de mon ennemi pour le vaincre."

Dans le même temps, la série nous présente la désorganisation de la rébellion, avec de nombreuses factions agissant de manière isolée, telles que le groupe de Saw Gerrera, le Front de Ghorman ou la brigade Maya Pei. D'ailleurs, l'arc qui est consacré à la brigade Maya Pei au début de la saison 2 montre bien les dérives d'une trop grande liberté individuelle, le groupe se déchirant pour savoir à qui devrait revenir le leadership, conduisant à la mort inutile de plusieurs de leurs membres. La série joue donc sur les deux tableaux, en nous montrant que si l'individualité est primordiale pour maintenir une forme d'esprit critique et ne pas sombrer dans l'obscurantisme impérial, un trop grand sentiment de liberté au détriment du collectif empêche toute victoire sur ses véritables adversaires.


Ce message résonne tout particulièrement alors que Donald Trump a retrouvé le pouvoir depuis près de 8 mois maintenant. L'opposition démocrate se retrouve ainsi régulièrement sous le feu des critiques pour son manque de cohésion quant à la stratégie à définir : si les ténors démocrates comme le sénateur Chuck Schumer, adoptent une position modérée en cherchant des moyens conventionnels pour s'opposer aux politiques de Trump, l'aile gauche du parti, incarnée par Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez cherche à mobiliser la population lors de grands rassemblements et n'hésitent pas à employer des termes forts pour dénoncer les dérives du milliardaire républicain. Tout ça alors que tout le monde a bien en tête la prochaine présidentielle de 2028, alimentant la bataille d'ego au sein du parti pour savoir qui se lancera dans la course. Les points de vue individuels de chacun ne font qu'alimenter une sorte de cacophonie qui décrédibilise le parti à l'heure où la démocratie américaine n'a jamais autant vacillé.


Conclusion : la primauté de l'humain


Andor est donc une série qui se fonde sur l'humain dans toute sa diversité pour analyser la résistance à un régime fasciste. Elle montre comment toute organisation, qu'elle soit autoritaire ou démocratique, n'est qu'une somme d'individus dont chaque choix peut finir par affecter sa structure tout entière, que ce soit positivement ou négativement. D'une part, l'Empire a beau être présenté comme un régime mécanique qui laisse peu de place à l'individualité dans chacun des programmes Star Wars, cet aspect se fissure dans Andor, qui prend le temps de s'attarder sur les petites mains du système et de leur importance pour celui-ci. D'autre part, l'ensemble des actions de la rébellion dans Andor puis dans le film Rogue One, aussi insignifiantes soient-elles, concluent une à une à la chute de l'Empire dans l'épisode VI.


La série nous renvoie également à notre propre situation en nous interrogeant sur nos choix, qui conduisent à la montée des populismes de droite et à l'instauration de régimes illibéraux partout dans le monde. Leur rapport à la vérité et leur vision du peuple en tant que masse sont autant de raisons qui peuvent nous pousser à nous méfier de ceux-ci. Si Andor veut nous montrer que chacun forge sa propre vérité grâce à toutes celles qu'il aura côtoyées, est-ce suffisant pour s'opposer à une vague populiste qui impose une lecture binaire du monde en réduisant toute contestation au silence ?

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